
Cette semaine, je suis allée en coup de vent à Grenoble, pour un reportage. Je vous reparlerai du sujet une fois que mon papier aura été publié, mais c'était le genre d'expérience qui marque longtemps. J'ai rencontré à cette occasion des femmes dont on ne parle pas souvent et qui en chient des ronds de chapeau. Des travailleuses de l'ombre, des "aides à domicile", à qui on vient de supprimer le peu d'acquis sociaux qu'elles avaient décrochés ces dernières années.
Bref, je vous en reparlerai, mais voilà, parfois ça ne fait pas de mal de se confronter à une réalité qu'on regarde de loin en croyant que ça suffit pour en être conscient. Sans être blindée ni faire partie d'une élite germano-pratine, j'ai évidemment la chance de gagner plus que les 850 à 1000 euros par mois des aides à domicile rencontrées et d'avoir un métier qui peut parfois être fastidieux mais pour lequel je suis considérée, ce qui n'est pas souvent de cas de ces femmes. Leur ténacité et leur dignité m'ont mis une bonne vieille claque, quoi.
Aller à Grenoble, c'était aussi faire un bon de presque vingt ans en arrière. C'est fou comme la nostalgie est un de mes moteurs, ou peut-être un de mes freins, si j'y pense (on ne dit pas qu'il ne faut jamais regarder en arrière ?).
En montant dans le tram qui traverse le centre ville, j'ai repensé fort à cet ami que j'avais, devenu parrain du machin des années plus tard et que je ne vois plus aujourd'hui, parce que les non-dits, parce que les trop-dits, parce que la vie, parfois, c'est con. Je me suis souvenue de ces premiers jours dans mon minuscule appartement sur le grand boulevard Joseph Vallier, studio déniché avec ma copine Béa montée avec moi pour l'occase, qui ne connaissait alors pas plus que moi la ville de Grenoble. Convaincues que l'appart était en plein centre, nous étions revenues ravies à Lyon annoncer à mes parents que y'avait plus qu'à déménager.
La tête de mon père et ma mère quand ils découvrirent l'appart en question, dans un immeuble ni fait ni à faire, à deux pas, non du centre mais de l'autoroute et ne pouvant pas être plus loin du campus.
Ma tête à moi le premier soir où j'y ai dormi, réalisant un peu tard qu'en effet je dormais dans un coupe gorge.
L'année suivante, je prenais une colocation cette fois-ci dans le it quartier, à quelques mètres de la rue aux herbes qui croyez-moi à l'époque portait très bien son nom. On était fières je ne vous dis pas, un espèce de duplex avec mezzanine qui nous semblait être alors le summum du cool, malgré les courants d'air, la moquette pourrie et les tapisseries des années 60.
La tête de mes parents, bis, quand ils découvrirent qu'on avait en réalité loué une ancienne boutique avec baie vitrée en rez-de-chaussée, qui donnait sur une ruelle pas éclairée.
La tête de ma coloc et moi quand au bout de trois semaines deux sacs à pinards se sont battus et ont fini, à trois heures du matin, par traverser la baie vitrée si cool.
J'ai pensé à ça et à tout le reste, à ce baiser un soir échangé avec mon ami B., le même qui lors de l'épisode des sacs à vin avait débarqué en pleine nuit me sauver, à G. qui plusieurs fois fit le trajet en stop depuis Lyon et dont je ne désespérais pas que ce fusse par amour, à Maud, Jeff, Julien et Chloé, qui sont aujourd'hui encore de ceux qui restent quand il n'y a plus personne.
Et puis ces cours d'histoire des idées politiques, les seuls que je n'ai pas séchés je crois, et puis ce campus au milieu des montagnes, cette grande bibliothèque dans laquelle j'essayais désespérément d'enregistrer les rudiments du droit constitutionnel.
Trois années qui à l'époque me semblaient toute une vie, trois années qui me paraissent aujourd'hui avoir à peine existé. C'était hier mais c'était il y a cent ans.
Edit: la photo n'a pas été prise à Grenoble mais à côté de chez moi, cherchez pas, c'est le fil rouge de la semaine, illustrer les billets par des photos qui n'ont rien à voir.